jeudi 17 juillet 2008

Hype, Buzz et Histoire médiévale

Oui, mes biens chers frères, vous avez bien lu ! Aujourd'hui, nous avons décidé de vous ennuyer avec une des merveilles que nous offre la toile, c'est-à-dire le 1er "buzz" concernant ce que nous appelons communément un GDH, ou Grand Débat Historiographique.

Je vois déjà, dans le fond de la salle, les cancres las qui baillent déjà, alors qu'ici il ne sera pas question de Corneille, mais d'Aristote et d'Avicenne. Et oui, je sais, il y a plus glamour. Au moins cela nous éloignera quelques instants d'Ingrid B. et de Paris Hilton. Mais commençons par le commencement si vous le voulez bien. De toute façon vous n'avez pas le choix.

Alors alors. Tout commence avec la sortie, en mars, de l'ouvrage de Sylvain Gouguenheim, professeur d'histoire médiévale dans cette estimable institution qu'est l'ENS-LSH, Aristote au mont Saint-Michel: les racines grecques de l'Europe chrétienne. Jusqu'ici, me direz-vous, rien de bien intéressant. L'auteur, pour résumer, s'intéresse aux canaux de diffusion de la pensée grecque au Moyen-Âge, notamment au rôle des chrétiens d'orient.

Et c'est là que ça se gâte. En effet, Roger-Pol Droit dans le Monde des Livres, puis Le Figaro rendent hommage à l'auteur pour avoir jeté un pavé dans la mare dans le petit monde des idées. S'ensuit une succession de pétitions, plus ou moins inspirées, si bien que se met en place un "buzz" sur un sujet pourtant bien complexe. On accuse Gouguenheim d'islamophobie, d'être sympathisant d'extrême-droite... Et la défense est assurée aussi bien par des figures scientifiques sérieuses (notamment Jacques le Goff) que par nombre de blogs et pages que nous qualifierons de très à droite (je vous conseille la lecture de cette page, à propos de ces derniers).

Alors, quid de ce tumulte ? loin d'apporter une vérité, il nous semble cependant que cette "affaire" permet de tirer quelques conclusions sur l'Homme, Internet et tout le reste.
- D'abord, à propos de l'ouvrage lui-même: quelle est sa nature précise ? Ouvrage de vulgarisation ? d'érudition ? essai historique ? Nous penchons pour un mélange des 3, avec une préférence pour la 3ème, notamment lorsqu'on le compare avec ses ouvrages précédents, scientifiquement beaucoup plus sérieux (notamment celui sur les chevaliers teutoniques). En effet, ce qui nous a le plus marqué à la lecture de cet ouvrage et de sa bibliographie est le manque de références à des ouvrages considérés comme fondamentaux, notamment celui de l'éminent Dimitri Gutas, professeur à Yale, intitulé Pensée grecque, culture arabe, et par le choix d'autres ouvrages peut-être plus dispensables. Pour les plus courageux, allez voir ici.
- Ensuite, il est étonnant de voir, dans notre société pourtant policée, à quel point un auteur peut recevoir une volée de bois vert, au point de lui faire quitter toute sphère publique (y compris la sphère professionnelle). Si l'ouvrage est à critiquer, il faut tout de même y mettre des formes, et ces attaques ad hominem parfois très violentes ne font que ternir l'image (déjà écornée) du monde de la recherche en sciences humaines.
- Enfin, il est étonnant de voir à quel point un sujet qui requiert pourtant une connaissance assez pointue a été "récupéré" par nombre d'essayistes et de magazines dont nous pouvons nous demander comment ils ont pu avoir un regard critique pertinent sur la transmission de la pensée grecque à travers la "filière" chrétienne (rôle qui, de surcroît, est une fausse découverte: l'importance des Syriaques et des Byzantins est connue et reconnue depuis longtemps). Et nous retrouvons alors un des traits caractéristiques de ce beau métier d'historien en France. Car au-delà du scientifique, il est un dépositaire d'un rôle social très fort, qui fait de lui un gardien, si ce n'est un juge, de la culture et de la constitution de la "civilisation". Ce qui a amené ce déclenchement de passions, et ces récupérations politiques et même (osons le gros mot) idéologiques. Ou comment un sujet savant passe dans le champ du politique...

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